Sécurité sociale des travailleurs détachés: jurisprudence
Jurisprudence récente en matière de sécurité sociale des travailleurs détachés : l’arrêt du 12 juin 2012 de la Cour de justice de l’Union européenne (affaire C-612/10, Wawrzyniak)
Un nombre croissant de salariés sont détachés par leur employeur pour travailler temporairement dans un autre Etat de l’Union européenne. Face au refus de certaines administrations de ces Etats d’accueil d’accorder des allocations ou prestations de sécurité sociale aux travailleurs détachés ou à leur famille, ceux-ci ont dû introduire un recours auprès de la Cour de justice de l’Union européenne pour obtenir gain de cause.
C’est le cas de la famille Wawrzyniak, et de l’affaire C-612/10.
1.- La famille Wawrzyniak
Monsieur Wawrzyniak est un ressortissant polonais travaillant et résidant en Pologne avec son épouse et leur fille; ils sont soumis au régime de sécurité sociale polonais.
En 2006, Monsieur Wawrzyniak est envoyé par son employeur en Allemagne pour y travailler comme travailleur détaché pendant 11 mois de l’année, et l’Etat allemand soumet le ménage intégralement à l’impôt sur le revenu pour cette période.
Se basant sur une disposition du droit allemand, Monsieur Wawrzyniak réclame à l’Etat allemand une allocation familiale pour sa fille, pour la période pendant laquelle il était détaché en Allemagne, alors que son épouse et sa fille, restées en Pologne, percevaient déjà une allocation similaire (quoique d’un montant nettement inférieur) de la part de l’Etat polonais pour la même période.
2.- L’Etat allemand
L’Etat allemand refuse d’octroyer à Monsieur Wawrzyniak l’allocation familiale réclamée et fait valoir les arguments suivants :
- La famille de Monsieur Wawrzyniak réside habituellement en Pologne;
- La fille de Monsieur Wawrzyniak, pour laquelle l’allocation familiale est demandée, a toujours résidé en Pologne, y compris pendant la période de détachement de son père;
- Selon les règles applicables au sein de l’Union européenne en matière de coordination des systèmes de sécurité sociale, les travailleurs détachés doivent être soumis à la législation d’un seul Etat, celui de leur lieu de travail d’origine (la Pologne, dans cette affaire). Ces travailleurs ne peuvent donc pas choisir d’être soumis à la sécurité sociale de l’Etat sur le territoire duquel ils sont temporairement détachés (partant, dans cette affaire, l’Allemagne);
- Le détachement temporaire de Monsieur Wawrzyniak en Allemagne n’a entraîné pour lui aucun désavantage sur le plan juridique, étant donné qu’il est resté soumis à la sécurité sociale polonaise pendant son détachement;
- La famille de Monsieur Wawrzyniak a perçu une allocation familiale similaire de la part de l’Etat polonais pour la même période et pour le même enfant, allocation qui n’a été ni retirée, ni réduite par l’Etat polonais pendant la période de détachement en Allemagne;
- Selon les dispositions du droit allemand applicables à l’allocation familiale réclamée, l’octroi d’une allocation similaire dans un autre Etat (la Pologne, en l’espèce) exclut tout droit à percevoir l’allocation familiale allemande;
- Comment résoudre le cumul des droits dont bénéficierait Monsieur Wawrzyniak si les deux allocations (allemande et polonaise) lui étaient accordées ?
3.- La Cour de justice de l’Union européenne
En premier lieu, selon l’Etat allemand, et conformément aux règles applicables au sein de l’Union européenne en matière de coordination des systèmes de sécurité sociale, les travailleurs détachés doivent être soumis à la législation d’un seul Etat, celui de leur lieu de travail d’origine (la Pologne, dans cette affaire). Ces travailleurs ne peuvent donc pas choisir d’être soumis à la sécurité sociale de l’Etat sur le territoire duquel ils sont temporairement détachés (partant, dans cette affaire, l’Allemagne).
La Cour confirme dans l’arrêt Wawrzyniak que, selon le règlement applicable en matière de coordination des systèmes de sécurité sociale au sein de l’Union européenne, et compte-tenu de la durée du détachement de Monsieur Wawrzyniak en Allemagne, celui-ci est resté soumis au droit de l’Etat polonais, sur le territoire duquel il exerce habituellement son activité salariée au service de l’entreprise qui l’a temporairement détaché.
La Cour rappelle que le règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale a pour but de soumettre les travailleurs au système de sécurité sociale d’un seul Etat pour éviter le cumul de législations et d’éventuelles complications.
Que s’agissant, par ailleurs, d’un règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale, et non d’harmonisation, la Cour précise que les travailleurs migrants n’ont pas de garantie qu’un déplacement dans un autre Etat de l’Union européenne sera neutre pour eux en matière de sécurité sociale, et qu’il est même compatible avec le droit de l’Union européenne sur la libre circulation des personnes qu’une législation nationale soit, le cas échéant, moins favorable qu’une autre sur le plan des prestations de sécurité sociale (comme c’est le cas de la législation polonaise par rapport à la législation allemande dans l’affaire Wawrzyniak, à moins, ce qui sera développé plus loin, qu’il y ait désavantage substantiel).
Obligation ou faculté
Cependant, rappelle la Cour, même si la sécurité sociale polonaise est applicable à Monsieur Wawrzyniak en vertu du règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale, cela signifie seulement que l’Etat allemand n’est pas obligé d’octroyer des prestations familiales ou de sécurité sociale à Monsieur Wawrzyniak – puisqu’un autre Etat a été désigné par le règlement comme étant compétent pour le faire – mais cela ne saurait en aucun cas signifier qu’il est interdit à l’Etat allemand d’octroyer, s’il le décide, des prestations ou allocations de sécurité sociale à Monsieur Wawrzyniak. Ainsi, l’Etat non désigné par le règlement conserve t-il toujours la faculté d’accorder une protection sociale plus large aux travailleurs se déplaçant dans l’Union et à leur famille.
Cette faculté de l’Etat allemand d’accorder une protection sociale plus large que celle prévue par le règlement demeure, souligne la Cour, même si la famille Wawrzyniak a perçu une allocation familiale similaire de la part de l’Etat polonais pour la même période et pour le même enfant, car cette protection sociale plus large “est de nature à contribuer à l’amélioration du niveau de vie et des conditions d’emploi des travailleurs migrants …[et]… à faciliter la libre circulation des travailleurs”.
Critères de rattachement
En deuxième lieu, l’Etat allemand soutient que, conformément aux dispositions allemandes applicables à l’allocation familiale réclamée, celle-ci est accordée à toute personne résidant en Allemagne, même si cette personne travaille dans un autre Etat et est soumise à la sécurité sociale de cet Etat, le critère de rattachement entre l’Allemagne et l’intéressé/e justifiant l’octroi de la prestation de sécurité sociale étant la résidence.
Or, souligne l’Etat allemand, la famille Wawrzyniak réside habituellement en Pologne, et la fille de Monsieur Wawrzyniak, pour laquelle l’allocation familiale est demandée, a toujours résidé en Pologne, y compris pendant la période de détachement de son père.
Certes, mais la Cour, dans l’arrêt Wawrzyniak, relève que l’allocation familiale réclamée en vertu du droit allemand applicable est également accordée à toute personne qui, bien que n’ayant pas de domicile ou de lieu de séjour habituel en Allemagne, est assujettie intégralement à l’impôt sur le revenu, le critère de rattachement entre l’Allemagne et le travailleur migrant étant cette fois l’assujettissement intégral à l’impôt sur le revenu.
Ce second facteur de rattachement est d’ailleurs, poursuit la Cour, “fondé sur un critère précis et peut être considéré comme étant suffisamment étroit, compte tenu également du fait que la prestation familiale réclamée est financée par des recettes fiscales”.
Ces deux critères de rattachement étant alternatifs, selon la Cour, la circonstance que la famille Wawrzyniak – y compris la fille pour laquelle l’allocation est réclamée – réside habituellement en Pologne est donc sans pertinence, et l’un quelconque des deux critères de rattachement pris en considération en vertu du droit allemand (la résidence ou l’assujettissement intégral à l’impôt sur le revenu) donne droit à l’allocation familiale.
Principe de proportionalité
Enfin, selon l’Etat allemand, des dispositions nationales anti-cumul sont prévues concernant l’allocation familiale réclamée, qui est en particulier exclue si une allocation comparable est perçue ou permise dans un autre Etat (la Pologne, en l’espèce).
Selon la Cour, il appartient à ceux des Etats de l’Union qui ont la faculté, et non l’obligation, d’octroyer des prestations de sécurité sociale, de prévoir des dispositions nationales leur permettant de prévenir ou régler d’éventuelles situations de cumul de prestations.
Toutefois, précise la Cour dans l’arrêt Wawrzyniak, une règle anti-cumul nationale qui entraînerait, non pas une simple diminution, mais une exclusion totale de la prestation familiale librement proposée par l’Allemagne, est de nature à traiter de manière nettement plus défavorable les travailleurs migrants par rapport aux travailleurs sédentaires, ce qui est particulièrement injustifié si la prestation en cause est financée par des recettes fiscales, auxquelles contribuent tous les travailleurs intégralement assujettis à l’impôt sur le revenu, qu’ils soient migrants ou sédentaires – sans distinction.
Une telle différence de traitement va au-delà des disparités “raisonables” découlant inévitablement de la coordination (à défaut d’harmonisation) des systèmes de sécurité sociale entre les Etats de l’Union et constitue, pour le travailleur migrant, un désavantage substantiel – disproportionné ? – jugé contraire au droit de libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne, dans l’arrêt Wawrzyniak.
L’Etat allemand doit donc écarter l’application de sa règle anti-cumul, en ce qu’elle prive complètement la famille Wawrzyniak de l’allocation familiale réclamée.
Conclusion
La Cour de justice de l’Union européenne ne manque pas de le rappeler : avec la coordination – et non l’harmonisation – des systèmes de sécurité sociale, les Etats de l’Union européenne demeurent libres de déterminer les détails de leurs systèmes de sécurité sociale, y compris les prestations qui sont accordées, les conditions d’octroi et les montants.
Une liberté toutefois bien encadrée…
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1 L’expression “Union européenne” étant entendue, dans ce contexte, comme s’étendant à l’Espace Economique Européen et à la Confédération Helvétique
2 L’expression “Etat allemand” étant entendue, dans ce contexte, comme signifiant “Agentur für Arbeit Mönchengladbach – Familienkasse”
3 Savoir, un montant mensuel par enfant de 12 EUR en Pologne, par rapport à 154 EUR en Allemagne
4 Voir encadré: “Le cadre réglementaire”
5 Le règlement 1408/71 est applicable en l’occurrence, mais cela n’a pas d’incidence dans cette affaire, et la décision de la Cour serait la même quelque soit le règlement en cause (CEE 1408/71, CE 883/2004 ou UE 465/2012)
6 Voir encadré: “Le cadre réglementaire”
7 Arrêt du 14 octobre 2010, Schwemmer, C-16/09, non encore publié au Recueil
8 Arrêt du 30 juin 2011, da Silva Martins, C-388/09, non encore publié au Recueil
9 Par analogie, arrêt du 20 mai 2008, Bosmann, C-352/06, Rec. I-3827
10 Arrêt du 16 juillet 2009, von Chamier-Glisczinski, C-208/07, Rec. I-6095
11 Arrêt du 12 juin 2012, Hudzinski et Wawrzyniak, C-611/10 et C-612/10, non encore publié au Recueil
12 Jurisprudence Bosmann précitée
13 Jurisprudence Hudzinski et Wawrzyniak précitée
14 qui ne se limitent pas aux allocations et prestations familiales ou de santé…
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