Publié le : 02/02/2017 par Hélène WEYDERT

Voile au travail

Le gouvernement a annoncé le 31 janvier 2017 vouloir une loi interdisant le « voile intégral » dans les espaces publics au Luxembourg*, ce qu’il devra faire dans le respect des jurisprudences de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Qu’en est-il pour les employeurs?

Une affaire en la matière est justement actuellement examinée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE, aff. C-188/15 ):

Un employeur a licencié en France une salariée au motif qu’elle refusait de retirer son voile, manifestation de sa foi religieuse, lors de ses visites auprès de clients, ce qui risquait de préjudicier aux intérêts commerciaux de l’employeur

La salariée conteste le licenciement comme constituant une mesure discriminatoire.

La salariée en l’occurrence semble avoir porté un hijab, un foulard qui couvre la tête et le cou et laisse le visage dégagé. Mais elle aurait pu choisir de porter le niqab, un voile qui couvre le visage en laissant seulement une ouverture pour les yeux (16 femmes au Luxembourg le portent, selon le Wort**), ou la burqa, un voile qui couvre le visage et le corps et est muni d’un grillage devant le visage (aucune femme ne le porte, au Luxembourg, selon le Wort**), ou encore le tchador, ou chador, ou l’abaya, un voile noir qui recouvre tout le corps de la tête aux chevilles en laissant le visage dégagé.

CEDH

La Convention européenne des droits de l’Homme, qui s’impose notamment aux Etats de l’Union européenne, garantit la liberté de religion (art 9 CEDH) et la non-discrimination à raison de l’expression de ses convictions religieuses (art 14 CEDH).

La Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg a rendu un seul arrêt – prudent – en matière de manifestation de sa foi religieuse au travail dans le secteur privé (CEDH, arrêt du 15 janvier 2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni): la CEDH avait en l’occurrence décidé que la croix portée par la salariée étant discrète, elle ne pouvait pas nuire à l’image professionnelle que souhaitait l’employeur, et que l’employeur ne pouvait partant pas interdire à la salariée de la porter.

En matière de convictions religieuses, s’agit-il vraiment d’une question de discrétion? Il n’est pas sûr que la CEDH poursuivrait aujourd’hui ce raisonnement. 

CJUE

Le droit de l’Union européenne, quant à lui, interdit les discriminations directes et indirectes, notamment fondées sur la religion (sur les notions de discriminations directes et indirectes, cf notamment l’article « Discrimination » sur mon blog http://www.heleneweydert.lu/discrimination/).

L’avocat général Eleanor Sharpson ayant conclu dans l’affaire C-188/15 actuellement pendante devant la CJUE cite les conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans une affaire comparable:

L’accès à l’emploi et l’épanouissement professionnel sont d’une importance cruciale pour tout individu, non seulement parce qu’ils sont un moyen pour celui-ci de gagner sa vie, mais aussi parce qu’ils constituent un moyen important de s’accomplir soi-même et de réaliser son potentiel. Quiconque traite de façon discriminatoire une personne appartenant à une catégorie visée par une classification suspecte prive injustement celle-ci d’options valables. Partant, la capacité de cette personne de mener une vie autonome se trouve gravement compromise, puisqu’un aspect important de son existence est déterminé non par ses propres choix, mais par les préjugés d’un autre.

L’exigence de ne pas porter de voile au travail est-elle une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour l’exercice de la profession? Tout dépendra de la situation au travail – et du voile.

Une restriction imposée par l’employeur au port de tenues vestimentaires et de signes religieux par des salariés pourrait, en effet, être justifiée par un objectif légitime, par exemple pour des raisons de santé et de sécurité au travail, si la mesure est nécessaire et proportionnée. Ou encore concernant les activités professionnelles d’églises ou d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur les convictions religieuses.

La protection des intérêts commerciaux de l’employeur est également reconnue, tant par la CEDH que la CJUE, comme un objectif légitime – mais il n’est pas absolu : les restrictions éventuellement imposées aux salariés doivent, comme pour les autres objectifs légitimes précités, être proportionnées.

Dans l’affaire C-188/15, la salariée est ingénieur d’études, compétente et à fort potentiel (ce sont les termes de la lettre de licenciement) mais certains clients se sont plaints du port de son voile, sachant que 5% du temps de travail de la salariée était consacré aux visites de clients.

 

L’arrêt de la CJUE est attendu avec impatience.

 

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* Wort, 31 janvier 2017: http://www.wort.lu/fr/politique/port-du-voile-integral-au-luxembourg-nicolas-schmit-confirme-le-gouvernement-veut-legiferer-5890b267a5e74263e13a9dd2?utm_source=fr_daily&utm_medium=email-0800&utm_content=newsLink&utm_campaign=dailyNewsletter

Voir aussi la position du Ministre de la Justice Félix Braz du 1er février 2017 : http://www.chd.lu/wps/portal/public/accueil/actualite/alaune/551a9718-8318-43d6-9bf0-84a6f937228d/!ut/p/b1/hcxLboMwGATgs3CA4N_GtWEJgVBTSgSUAN5EpIoSJzigqimP05dKXXRTZXYjzXxIoppRzC3bAooqJG_Nlzo1n6q7Ne1Pl2zvE3-XCUog5CkFEgURL_LEsn22DOplQGw7z0L3NXCcwgMBa5wHqUdAkEf_EtXeLwL_xIVHSISkOmhzeNcmmIRYjHOHOthyMGbsCZVrVC8E_0PEggPZwNZ7wSlAiNEbqoDu88vUi_k6Z5c5xUkxQeIfAeJi8M5Cj6rV915GTdqwjWoiqXU53mWYnet-9aG3quvcUerr7mQYKHnu9BFp2cbT6jBXg2t8A80b0bc!/dl4/d5/L2dBISEvZ0FBIS9nQSEh/

**Wort, 6 novembre 2015: http://www.wort.lu/fr/politique/elles-vivent-au-luxembourg-et-portent-le-niqab-nous-ferons-appel-a-la-justice-pas-a-la-desobeissance-563b29b20da165c55dc4c998

 

 



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